Enfant en rupture scolaire : LA RUE COMME PLANCHE DE SALUT

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« Ils prennent la rue comme les pirates prennent la mer. Avec l’intention de frapper un grand coup, faire mal.» La quarantaine bien entamée, Pierre Kabange connait les enfants de la rue et leur monde et mode opératoire. Employé au corps de garde de « La Brioche »une des grandes pâtisseries  située sur la chaussée Laurent Désiré Kabila, l’artère la plus fréquentée de la ville de Lubumbashi, il a maille à partir avec ces gamins sans foi ni loi qui ont l’habitude de tendre la main aux passant de fois en longueur des journées.

« IL y a une semaine, explique Pierre Kabange, un garnement qui battait la semelle devant la pâtisserie a volé le sac d’un touriste Sud-Africain avant de s’évaporer dans la nature. Avec mes collègues, nous sommes condamnés à ouvrir le bon œil. La tâche est très difficile, car les voleurs reviennent toujours sur le lieu de leurs forfaits».

A l’ancien magasin à grande surface « Mégastore », situé à un jet de pierre de là, deux agents de corps de garde munis des matraques surveillent des pickpockets. Assis sur un tabouret, visage épanoui, Albert Kamayi, vendeur des journaux devant cet espace commercial lance tout haut : «ils ne vont pas à l’école, on ne leur apprend ni à lire ni à écrire, mendier et voler, c’est leur moyen de survie au quotidien

La loi congolaise et les sanctions

Maitre Whilly Kisula, avocat au barreau de Lubumbashi soutient que tout parent qui abandonne volontairement son enfant commet une infraction tel que stipule la loi numéro 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant. La dite loi est également soutenue par la convention internationale relative aux droits de l’enfant, cette catégorie d’être humain vulnérable, cette loi fait référence à beaucoup de sanctions de servitude pénale vis-à-vis des parents notamment : « Tout parent qui, de manière délibéré n’envoie pas son enfant à l’école est puni d’une amende de cinquante mille francs congolais » au regard de l’article 190.

Se référant  à l’article 198 de la loi portant protection de l’enfant, en son alinéa premier, maitre Timothe Mbuya, activiste de droit de l’Homme signale que le délaissement d’un enfant en un lieu inconnu est condamnable de un à cinq ans de servitude pénale principale  et d’une amende de cent à deux cent cinquante mille francs congolais.

A maitre Timothée d’ajouter que l’article 185 de la même loi stipule que « Tout acte discriminatoire à l’égard de l’enfant expose son auteur à une peine de trois à six mois de servitude pénale principale et à une amende de cents à deux cent mille franc congolais parce que l’article 62 considère cette couche de la population (enfants) comme étant fragile et en situation difficile, devront bénéficier d’une protection spéciale.

Visible par sa tenue bleue foncée, l’agent de la police affecté   à la banque  « Equity » pour maintenir la sécurité et l’ordre au parking exprime son regret : « Le phénomène a pris des allures de fléau, avec une cible majeure : les femmes .Autour d’elles, rodent des nuées d’adolescents aux aguets. En une fraction de seconde, ils dérobent un portefeuille, un portable, un sac dame. Et quand ils sont arrêtés, c’est pour être relâcher le jour même. »

Devant l’hôtel de poste, dans tous les parkings et aux alentours des marchés et grands magasins de la place, les gamins opèrent sans froid aux yeux. Leurs techniques sont courantes et très au point. Les scènes se répètent. Comme les « Roms », ils ne reculent devant rien car leur priorité c’est la vitesse pour maintenir  le rendement exigé. Ils sont prêts à tout pour chiper du cash. Souvent, ces petits malfrats sont surveillés par des garçons plus âgés qui rodent et font semblent d’être corrects. Ils sont les contremaitres des mafieux et dirigent les opérations à distance par des clins d’œil ou des gestes. Ce sont eux que la police vise quand l’inspecteur Provincial Louis Second déclare qu’il faut raser les caïds.

Pour rappel en 2009, sous l’égide de l’honorable Katumbi Chapwe, le Gouvernement Provincial a ouvert un centre d’encadrement dans le but avoué de trouver des solutions réelles à l’épineux problème des enfants de la rue. Lancé avec pompe, l’opération n’a pas tenu le cap…Nourris, vêtus, logés et même soumis à un programme scolaire, la plupart de shegués (enfants de la rue) ont déserté le centre de formation de la Kassapa.

 Au centre d’accueil Bakanja, ouvert par la congrégation Salésienne sur l’avenue Ndjamena, non loin du lycée Tuendelee, le Frère Adrien Amsini reconnait que le travail à accomplir est immense. « Il n’est pas facile de redresser les enfants qui viennent de toute parts et ayant chacun des habitudes particulières », affirme le serviteur de Dieu. Entre deux coup de fil, il lâche : « Peu d’entre eux parviennent à suivre notre vision alors que beaucoup préfèrent rester sur le bord de la route …Certains enfants qui se font passer pour des orphelins ont des parents ici à Lubumbashi. Et chaque fois nous nous impliquons pour faciliter leur réintégration au sein de la famille biologique, leur propres parents les repoussent

Selon un rapport d’enquête de l’observatoire du changement Urbain(OCU) et de la coopération universitaire au développement (CUD-Belgique) sur « les enfants de la rue au Katanga, publié en avril 2005, avec le concours des experts de l’Université de Lubumbashi, l’enfer familial pousse à la descente dans la rue.

Ce rapport indique : « Les raisons avancées par les enfants ne connaissant pas avoir bénéficié de l’affection parentale sont légions : le problème de mariage de parents, le décès précoce des parents, la méchanceté du père, le problème de sorcellerie très souvent évoqué dans les prophéties des certaines églises du Réveil et enfin la misère ».

En un mot comme en cent, le fléau est loin d’être endigué. Les enfants affluent dans la rue, endroit idéal où ils se sentent à l’aise pour réaliser les cents coups. Avec l’arrivée massive des enfants non accompagnés en provenance des provinces du Kasaï, Lubumbashi la capitale de la province du haut Katanga est en train d’élargir ses tentacules.

Une autre catégorie est celle des gosses dont l’âge oscille entre 6 ,10 voire même 12 ans parcourent la ville couverts des habits en lambeaux. Très souvent, ils servent de guide à un parent aveugle ou handicapé. Issus des familles misérables, ils pointent au centre-ville à la première heure et ne rentrent en fin de journée que lorsque leurs poches sont garnies de quelques billets de banque. 

«Donne-moi de l’argent», «Achète-moi un pain». Ils répètent le même refrain à longueur  de journée, entrent dans les bistrots et ramassent tout ce qui a un peu de la valeur à leurs. Même des petites filles sont utilisées pour cette sale besogne par des parents à la moralité douteuse et qui n’ont rien à dire contre ces pratiques.

«Ici chez nous, c’est tous les jours comme ça, tous les jours.», Servante dans une papeterie située à l’angle des Moero et Kapenda, Adeline Mande sait de quoi elle parle. Chaque jour que Dieu fait, elle assiste aux bagarres rangées des bandes qui se disputent le butin volé. La voix serrée, et secouant sa tête, Adeline confie : «Tous les jours, je prie que la rue nr me vole pas mes enfants.»

Pour monsieur Ilunga Yav, activiste de droit de l’homme, aucun n’enfant ne peut, en matière de l’éducation, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif  ou du fait d’un particulier tel que le souligne l’article 39 et c’est la raison pour laquelle l’Etat congolais garantit le droit à l’enseignement obligatoire et gratuit.

Pour rappel, il est à noter que l’opération zéro shegués lancé sur la ville de Lubumbashi avec grand brouhaha par le gouverneur Jacques Kyabula n’a pas récolté de bons fruits. Disparus pour un temps ces enfants ont repris avec force leurs toits habitués.

Joseph kazadi

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